Les croisades commencent le 27 novembre 1095 lorsque le pape Urbain II invite les guerriers d'Occident à délivrer le Saint-Sépulcre et secourir les chrétiens d'Orient.
Le Saint-Sépulcre (le tombeau du Christ à Jérusalem) avait été détruit en 1009, sur ordre du sultan fatimide d'Égypte El-Hakim, dans un accès de
fanatisme. Plus gravement encore, la Palestine avait été occupée en 1071 par les Turcs Seldjoukides, lesquels empêchaient depuis lors les pèlerins d'aller faire leurs dévotions à Jérusalem. De
son côté, l'empereur chrétien de Byzance, bien qu'en froid avec le pape, attendait une aide militaire urgente pour résister à la pression turque. C'était pour les chrétiens d'Occident autant de
raisons de prendre la route de Jérusalem, selon une tradition déjà bien établie.
En Europe, la tradition des pèlerinages remonte au lendemain du règne de l'empereur romain Julien l'Apostat (IVe siècle) : les fidèles désirent se rendre sur les lieux où Jésus a vécu et partent à pied sans se soucier du temps qu'ils mettront ni des souffrances qui les attendent. Ils veulent mettre en pratique les paroles du Christ : «Quiconque abandonnera son père, sa mère, son épouse, ses enfants et ses champs à cause de moi, recevra le centuple et possèdera la vie éternelle».
En 638, lorsque les musulmans s'emparent de Jérusalem, les pèlerinages continuent comme si de rien n'était. Il est vrai qu'ils assurent des revenus importants aux Orientaux.
Sous le règne des califes abbassides de Bagdad, des monastères relais se multiplient sur les routes des pèlerins pour apporter aide et secours à ceux-ci.
Vers l'an 880, le pape Jean VIII explique dans une lettre que les guerriers morts en combattant les païens ou les infidèles sont assurés d'accéder à la vie éternelle.
L'aspiration au salut éternel pousse tant les nobles que les paysans sur les routes de la Terre sainte. En 1054, par exemple, on dénombre 3.000 pèlerins de Picardie et de Flandre qui n'hésitent pas à affronter les dangers de la route et les attaques des Bédouins. En 1064, plusieurs centaines de pèlerins allemands, moins chanceux, conduits par l'évêque Gunther de Blamberg, sont massacrés par les Bédouins.
La coexistence pacifique des chrétiens d'Occident et des musulmans d'Orient est en voie de se terminer. Le 19 août 1071, la situation se transforme du tout au tout avec la victoire des Turcs sur les armées byzantines à Malazgerd. L'empereur byzantin Romain Diogène est fait prisonnier. LesTurcs s'emparent de Jérusalem, jusque là sous l'autorité des Arabes fatimides d'Égypte.
En dix ans, tirant parti des dissensions au sein des troupes chrétiennes, les Turcs enlèvent aussi l'Asie mineure aux Byzantins. Constantinople, la capitale de l'empire byzantin, n'est pas loin de tomber entre leurs mains.
En accourant à l'aide des chrétiens orientaux, les croisés d'Occident vont repousser de quatre siècles la chute de Constantinople.
Enthousiasme général.
L'appel du pape tombe à pic et obtient un écho inespéré.
C'est que la «chrétienté» (ainsi appelle-t-on alors l'Europe occidentale), encore fragile et fruste, beaucoup moins avancée que les empires byzantin ou arabe, garde le souvenir des invasions hongroises et sarrasines du siècle précédent. Mais elle déborde d'énergie et commence à se sentir à l'étroit dans ses terres du bout du monde.
Depuis l'An Mil, cette chrétienté vit une grande époque de renouveau religieux. Les guerriers codifient leurs combats et respectent les trêves de Dieu avec plus ou moins bonne grâce. Bénéficiant d'une meilleure sécurité, les paysans améliorent leurs conditions de vie. La population se met à croître rapidement et beaucoup de jeunes gens peinent à trouver leur place dans leur région de naissance.
Dans les familles, les cadets reçoivent l'appel du pape Urbain II avec un enthousiasme d'autant plus débordant qu'ils entrevoient un champ d'aventures à la mesure de leurs frustrations.
L'idée de combattre les infidèles n'est pas nouvelle. Depuis Charlemagne, trois siècles plus tôt, les guerriers francs sont nombreux à combattre les
musulmans au-delà des Pyrénées, aux côtés des chrétiens d'Espagne.
Les paysans partent les premiers, par milliers, sans autres armes que leur foi. Ils suivent un apôtre d'Amiens quelque peu fanatique, Pierre
l'Ermite, et un simple chevalier, Gautier-sans-Avoir.
Ces pèlerins, comme la plupart de leurs contemporains, n'ont guère conscience du temps historique. Ils se figurent le Christ comme à peine antérieur
à eux et sont enclins à reconnaître ses meurtriers dans les juifs de rencontre. C'est ainsi que certains égarés, sous la conduite de chefs peu recommandables, se livrent à des massacres de juifs
en Rhénanie, malgré la défense des évêques, et commettent des pillages jusqu'en Hongrie. C'est le début de l'antijudaïsme en Occident après plusieurs siècles de coexistence relativement
pacifique entre juifs et chrétiens.
La croisade populaire arrive à Constantinople le 1er août 1096.
L'empereur Alexis Comnène recommande à Pierre l'Ermite d'attendre la croisade seigneuriale et installe les pèlerins de l'autre côté du Bosphore, sur la rive asiatique, pour prévenir les débordements. Mais, désobéissant à leurs chefs, les croisés se remettent en route. Leur périple tourne court et ils ne tardent pas à être massacrés ou capturés par les Turcs.
Les guerriers, quant à eux, prennent le temps de se préparer, et attendent le 15 août 1096 pour se mettre en route selon les instructions du pape.
Près de trois ans s'écouleront avant qu'ils atteignent leur but, la libération de Jérusalem et du tombeau du Christ. -