La boucherie au Moyen âge.
Monopolisant le commerce de la viande, fournissant une partie des matières premières indispensables à l'éclairage, à
l'habillement et au harnachement, les bouchers ont joui d'une place de choix dans l'industrie parisienne.
Les profits commerciaux de la Grande Boucherie restent impossibles à déterminer. Légalement, à partir de 1351, depuis
une ordonnance de Jean II prise au sortir de l'épidémie de peste, ceux-ci ne pouvaient excéder dix pour cent du prix d'achat sous peine d'interdiction d'exercer.
"Toutes menieres de bouchers[…] jureront […] que loyaument […] ils mettront en somme tout ce que les bestes qu'ilz
tueront […] leur auront cousté et que de chascun 20s [.] ils prendront pour leur acquest tant seulement 2 s.p. pour livre ". Un sou parisi (abréviation s p ) valait un vingtième de
livre.
Cette décision n'eut aucune efficacité : comment estimer le gain sur les viandes les abats et surtout les graisses et
les peaux lorsque la transparence du marché était inexistante ? Aussi les artisans de la Porte purent-ils en toute tranquillité exercer leur négoce.
En premier lieu les bouchers vendaient les chairs ovines, bovines, caprines et porcines fraîches ou salées. Les clients
qui s'approvisionnaient aux étaux du Châtelet discutaient du prix avec leurs fournisseurs. La balance présente sur certaines enluminures n'avait qu'un rôle décoratif : les chairs n'étaient pas
vendues au poids mais au morceau. D'où la fraude consistant à gonfler les viandes avec une paille…
Les chalands de passage réglaient immédiatement leurs achats ; les clients fidèles pouvaient faire porter le montant de
leur dette sur une "taille", un bâton de bois fendu longitudinalement profondément creusé d'encoches correspondant à chaque achat dont une moitié était détenue par le débiteur, l'autre par le
créancier . Comme l'écrivait le rédacteur du Ménagier de Paris : "Sans espandre ou baillier vostre argent chascun jour vous pourrez envoer Me Jehan [l'intendant] au bouchier et prendre char sur
taille".
Les bouchers parisiens ne vendaient pas au public des produits élaborés, comme aujourd'hui. Ils laissaient ce travail
aux cuisiniers et aux charcutiers, qui il était défendu de tuer des animaux de boucherie ou de s'approvisionner auprès de forains. Une semblable interdiction frappait les aubergistes pour
protéger la santé des Parisiens... et les intérêts des bouchers.
"que nuls […]ne achette ne tue, ne face acheter ne tuer […] que nul ne achete char pour cuire ne mettre en saulcisses
sinon es boucheries jurées de cette ville de Paris". De même la commercialisation des abats étaient laissée à la corporation des boudiniers et à celle des tripiers que leurs activités
n'enrichissaient guère, les rôles d'imposition en font foi.
Tripes et charcuteries diverses représentaient un apport vital en protéines pour les plus pauvres citadins. Ces
produits étaient toutefois souvent suspects, avec quelque raison. La fabrication du boudin noir à des fins commerciales était interdite sous le règne de Saint-Louis car "c'est périlleuse viande"
: le sang est favorable à la multiplication des bactéries et est encore utilisé pour cela dans les laboratoires comme milieu de culture.
Mais la législation non respectée connut quelques assouplissements.
En 1409 des "faiseurs de boudin" furent jugés pour"avoir esté trouvé exposans en vente boudins de sang, qui est contre
les ordonnances". Le procureur les autorisa toutefois, pendant la durée du procès à "faire boudins de sang de porc pourvu que ilz [soient] tenus de prendre le sang à la Boucherie de Paris […] que
prendre led. sang sera présente certaine personnes qui a ce sera commise par le Maistre des bouchers".
Nous ignorons ce qu'il advint après la fin de ce procès mais il est probable que le boudin noir se vendit, comme
naguère, sur les étaux avec la complicité des bouchers du Châtelet.
A l'opposé de la situation actuelle les plus importants profits du métier provenaient de la vente du "cinquième
quartier".
Les os, les cornes et les sabots n'avaient qu'une valeur très faible : ils étaient utilisés pour confectionner de
petits objets d'usage domestique qui faisaient vivre les corporations des peigniers, des "pâtenotriers d'os et de corne" (fabricants de chapelets) et des déciers (tailleurs de dés).
Rien de bien important donc ; si ces matières premières n'étaient pas purement et simplement jetées à la décharge elles
pouvaient à la rigueur être utilisées pour fumer les champs et les jardins.
Le commerce des peaux représentait une appréciable source de revenus. Nous avons déjà mentionné la médiocrité des
métiers qui apprêtaient les cuirs du fait de leur sujétion à la Grande Boucherie. Rappelons ici que les bouchers bénéficiaient de privilèges fiscaux pour la vente des peaux et toisons.
Les cuirs étaient préparés le long des berges de la Seine en aval du Grand Pont à l'aide d'un mélange de tanin et de
chaux. Les eaux du fleuve déjà rouge du sang coulant de l'Egorgerie n'en étaient que plus corrompues.
Les cuirs passaient ensuite entre les mains d'artisans de l'habillement : gantiers, boursiers, savetiers qui
réalisaient des chaussures de peu de prix, à ne pas confondre avec les cordonniers qui utilisaient le fin cuir cordouan ...
Les peaux des moutons égorgés, les "pelades" ou "pelins", étaient quelquefois tannées et servaient à fourrer des
habits.
Le plus souvent elles étaient tondues et la laine était alors filée, teinte, tissée et utilisée pour la confection
d'étoffes chaudes. Ces laines d'animaux de boucherie étaient toutefois jugées inférieures aux toisons importées d'Espagne ou d'Angleterre, mais elles n'étaient pas sensibles comme les produits
anglais la conjoncture politique. Une partie des peaux de petits ruminants subissait un traitement spécial : soigneusement épilées, elles étaient tirées sur un cadre, raclées et séchées à l'air.
La matière obtenue, le parchemin était le support de l'écriture et de la culture.
A cette époque où les animaux étaient utilisés pour le trait et le portage le cuir était aussi utilisé par les
bourreliers, les selliers, les corroyeurs et les lormiers qui réalisaient rênes, guides et courroies.
Enfin les bouchers réalisaient un notable bénéfice avec les suifs qu'ils récoltaient sur les carcasses des bovins,
clarifiaient après fusion et revendaient aux chandeliers. En raison de leurs compétences, le Prévôt de Paris Hugues Aubriot adjoignit deux bouchers aux jurés chandeliers pour la visite des
suifs.
Dans un tout autre domaine, on peut dire que le miel n'était qu'un sous produit de la cire des abeilles. L'apiculture
était moins respectueuse des colonies qui étaient souvent sacrifiées pour la récolte de cire. D'ailleurs, la ruche avec hausse et cadre mobile, permettant de ne prélever qu'une partie des
réserves de miel et de cire ne fut inventée que bien plus tard, au XVIIIème siècle.
Ruches en tortillons de paille. Noter que chaque vol de butineuse connaît sa ruche et ne rentre pas dans la voisine.
Sous la conduite éclairée du Roi (sic) des abeilles, la ruche policée et disciplinée est un exemple pour les communautés du Moyen Âge.