L'anticatholicisme au Moyen âge.
Il semble difficile, sinon impossible, de présenter l’anticatholicisme sans se référer à l’antimonachisme, à
l’antiromanisme et à l’anticléricalisme dans sa version croyante qui furent des réalités de l’Occident médiéval bien antérieures à la Réforme et aux développements des protestantismes européens.
Et cela au moins parce que bien des thèmes, lieux communs et stéréotypes médiévaux se retrouvent dans la rhétorique anticatholique du XVIe siècle à aujourd’hui.
Être sensible à cette intertextualité n’interdit pourtant pas de se montrer extrêmement attentif aux changements de
contexte, qui modifient considérablement au long des siècles le sens et la portée de tel motif ou de telle expression. Ainsi, les plaisanteries scabreuses sur les moines paillards, soiffards et
goinfres ont certes une portée socio-culturelle indéniable au Moyen Âge. Car alors les ordres monastiques échappent à la juridiction des évêques, ordinaires des lieux d’implantation des abbayes
et prieurés, et ces derniers sont de grands propriétaires terriens et des seigneurs attentifs au recouvrement des cens et autres redevances ; en outre, ils bénéficient dans les testaments des
plus riches de la société de l’époque de legs pieux, liés au culte des âmes du purgatoire, dont bien des héritiers peuvent s’estimer lésés, sans oser toujours l’exprimer ouvertement. Le quolibet
et l’outrance risible jouent alors un indéniable rôle d’exutoire, chez les paysans comme chez les élites nobiliaires et urbaines.
Mais, bien sûr, après les critiques humanistes d’une religion trop charnelle et surtout la remise en question par les
Réformateurs de la théologie des oeuvres et de la croyance au purgatoire, tout cela prend une dimension spirituelle et acquiert une portée sans équivalent auparavant.
La même remarque peut être faite à propos des discours et des images antiromaines, développées à partir de la réforme
dite « grégorienne » et de la prétention de la papauté à imposer sa prééminence spirituelle sur le pouvoir temporel, en particulier de l’empereur (humiliation de l’empereur Henri IV devant le
pape Grégoire VII à Canossa en 1077). Et le matériel élaboré par les gibelins italiens, au XIIIe siècle, contre les guelfes, partisans du pape, est réemployé tout aussi bien par les protestants
des XVIe et XVIIe siècles, par exemple dans Le Passavant de Théodore de Bèze. Au demeurant, au XVIe siècle, l’antipapisme, n’est pas seulement protestant, comme en témoignent la satire de l’île
des Papimanes dans le Quart Livre de Rabelais (1552), mais aussi la vision très négative de Rome proposée dans Les Regrets de Joachim Du Bellay.
Au-delà des topoï discursifs et narratifs, l’anticatholicisme se fonde aussi sur la sensibilité religieuse propre à
l’anticléricalisme croyant. Celui-ci, en effet, a été largement la réaction à la monopolisation cléricale de la gestion des biens de salut et de l’interprétation de la Parole révélée — que cette
monopolisation soit réelle ou simplement ressentie comme telle par les (ou des) non-clercs ou par un (ou des) groupe(s) de clercs insatisfaits de cette situation. Rassurante et acceptée par
beaucoup, l’instauration et le développement de la médiation cléricale dans l’Église comme Manuscrit auteur, publié dans "Encyclopédie du Protestantisme (2006) 30" l’assimilation des clercs aux
seuls « ecclésiastiques » et « gens d’Église », ont rendu les chrétiens plus exigeants envers ces derniers (d’où le thème de la nécessité de la réforme du clergé, non seulement morale et
disciplinaire mais aussi intellectuelle et spirituelle), et, par contrecoup, en ont conduits certains à réfuter cette « omnipotence des médiateurs » cléricaux (d’où les grands mouvements taxés
d’hérésie aux derniers siècles du Moyen Âge, comme celui des Vaudois, mais encore, aux XIIIe et XIVe siècles, toutes les expériences religieuses portées par l’aspiration à la pauvreté
évangélique…).
L’insistance de Martin Luther à partir de 1520 sur le sacerdoce universel des croyants est donc parfaitement inscrit
dans ce courant, et on conçoit que les derniers Vaudois aient pu s’intégrer à la Réforme.
Aux XVIe et XVIIe siècles, à l’instigation de la curie, on voit être mis en oeuvre et radicalisés dans un contexte de
controverse antiprotestante certaines propositions et tendances exprimées au concile de Trente. Il en résulte un véritable système d’orthodoxie romano-tridentin, d’où un renforcement de
l’anticatholicisme.
À la période contemporaine, surtout avant le Ralliement, l’anticatholicisme s’est doublé d’une dimension désormais
politique et anticléricale au sens récent de ce terme : la dénonciation n’a plus seulement visé l’« apostasie romaine » et l’« idolâtrie papistique », mais aussi le « cléricalisme », entendu
maintenant comme l’intrusion du pouvoir de l’Église romaine dans le domaine civil et politique.
Thierry Wanegffelen
Professeur d’Histoire moderne à l’Université Blaise Pascal
(Clermont-Ferrand II)