Guy de Lusignan (1129 - 1194).
Guy de Lusignan est né en 1129 à Lusignan. Il est le fils du seigneur Hugues VIII de Lusignan (v.1110-v.1165) et de
Bourgogne de Rançon ( morte en 1169). On ne sait que peu de choses sur le début de sa vie, excepté le fait qu'en 1163 il accompagne son père et ses frères en Terre Sainte, où il va vivre à la
cour du roi Amaury de Jérusalem.
A la mort du roi, en 1174, son fils Baudouin IV lui succède. Cependant, étant trop jeune, un régent est mis en
place : Millon de Plancy en 1174 puis Raymond III de Tripoli de 1174 à 1176, année de la majorité du roi. Mais, atteint de la lèpre depuis son jeune âge, il ne fait aucun doute qu'il ne
vivra longtemps. Le problème de sa succession se pose donc dès son accession. C'est la raison pour laquelle, la même année, il marie sa sœur Sybille à Guillaume, fils du marquis Guillaume V de
Montferrat. Malheureusement, il meurt trois mois plus tard de la malaria, laissant son épouse enceinte d'un fils, Baudouin (né en 1177).
En 1179 ou 1180, le roi remarie sa sœur à Guy de Lusignan, qui devient alors Comte de Jaffa et d'Ascalon. En 1183,
devenu aveugle et paralysé, il abdique en faveur de son neveu, tout en gardant son titre de roi. Il confie d'abord le gouvernement à Guy mais, constatant son absence de sens politique, il lui ôte
ses titres et nomme régent Raymond de Tripoli. La situation ne change pas lorsque le roi meurt deux ans plus tard. Guy ne devient réellement important qu'en 1186, quand son beau-fils, le jeune
Baudouin V, décède à Acre. En effet, il destitue immédiatement le régent et, en septembre, se fait discrètement couronner avec son épouse par le patriarche Héraclius.
La situation du royaume est alors des plus graves. Si la courageuse lutte de Baudouin IV, vainqueur de plusieurs
batailles contre Saladin, le sultan d'Egypte, a permis de sauver l'état croisé, Renaud de Châtillon, ancien prince d'Antioche, a plusieurs fois attaqué et pillé des caravanes, au détriment des
trêves, ce qui a fortement dégradé le fragile équilibre entre les musulmans et les chrétiens. De plus, ayant appris le couronnement de Guy, Raymond, déçu et outré, a refusé de lui prêter hommage
et a fait alliance avec le sultan, étant sûr de son soutien.
Fin 1186, Châtillon, reprenant ses pillages, attaque une caravane de Damas, s'empare du butin, et jette les voyageurs
et les marchands en prison, rompant ainsi la trêve signée par le régent en 1185. Saladin demande immédiatement la restitution des biens à Guy. Mais ce dernier, faible et dénué d'autorité, ne
parvient pas à faire plier le brigand. Le sultan mobilise alors ses troupes de Syrie et d'Egypte afin d'envahir le royaume. Faisant une nouvelle fois preuve de sa faiblesse politique, Guy, ne se
rendant que peu compte du danger, ne pense alors plus qu'à aller attaquer Raymond, pour le forcer à combattre à ses côtés. Ses barons parviennent heureusement à empêcher une guerre intestine, qui
n'aurait que facilité l'entreprise de Saladin.
En mai 1187, 150 templiers, dirigés par leur grand-maître, Gérard de Ridefort, sont défaits par plusieurs milliers de
musulmans à Séphorie, près de Nazareth. Peu de temps après, les forces musulmanes, envahissant la Galilée, assiègent et prennent rapidement la basse ville de Tibériade, laissant encore la
forteresse aux francs . Suite à ce désastre, Raymond décide de rejoindre Guy, afin de combattre ensemble l'immense armée qui envahit le royaume.
Ainsi, réunissant 2 000 chevaliers, dont 1 200 templiers et hospitaliers, 13 000 fantassins et
40 000 mercenaires musulmans, Guy, malgré les réticences de Raymond, se dirige vers l'armée de Saladin, composée de plus de 60 000 soldats. Souffrant de la chaleur, assoiffés et
harcelés par les archers montés musulmans, les forces franques tentent, le 3 juillet, de rejoindre le point d'eau de Hattin, au nord-ouest du lac de Génésareth. Saladin, comprenant leur projet,
leur coupe l'accès et les force à camper sur le sable et les pierres brûlantes, tout en continuant de les harceler. Raymond, depuis longtemps hostile aux plan d'attaque du roi, tente alors
d'apaiser les esprits, maintenant qu'une attaque serait de la folie, et qu'une paix, même désavantageuse, serait meilleure. Mais Guy, suivant les mauvais conseils de Renaud de Châtillon et du
grand-maître des templiers, rescapé de la bataille de Séphoris, choisit d'engager le combat. Le 4 juillet, alors que Saladin l'a déjà partiellement encerclé durant la nuit, il fonce tête baissée
dans la mêlée, avec des troupes assoiffées et fatiguées. Raymond, comprenant vite que la bataille serait perdue, parvient à s'enfuir vers Séphorie avec le fils du prince d'Antioche, quelques
barons et leurs chevaliers.
En effet, le sultan donne bientôt l'ordre d'incendier les herbes sèches pour affoler les chevaux francs : en peu
de temps, toute la chevalerie de Terre Sainte, repoussée, est décimée. Il y a plus de 30 000 morts, la majorité du côté franc, et autant de blessés. Guy de Lusignan, ses frères Amaury,
devenu connétable, et Geoffroy, Renaud de Châtillon, Gérard de Ridefort, Onfroy IV de Toron, mari d'Isabelle, la sœur de Sybille et de Baudouin IV, et Guillaume V de Montferrat parviennent à se
réfugier dans la forteresse de Tibériade. Cependant, assiégés et sans espoir de secours, il se rendent le 5 juillet, contre la promesse d'épargner la population. Saladin les fait alors
prisonniers et les emmène dans ses prisons de Damas, à l'exception de Renaud, de 300 templiers et des mercenaires musulmans, qu'il exécute sur place.
Les mois suivants sont terribles pour les chrétiens : en juillet, Saladin emporte Acre, Jaffa, Césarée et Sidon,
puis, le 6 août, il prend Beyrouth, suivie de peu par Ascalon et Gaza, le 5 septembre. Enfin, le 20 septembre, il met le siège devant Jérusalem, défendue uniquement par 6 000 soldats. Le 2
octobre, après quelques négociations, les chevaliers chrétiens parviennent à négocier la reddition de la ville : ainsi, comme il l'avait déjà fait pour ceux d'Acre et d'Ascalon, Saladin
laisse sortir les soldats francs, qu'il escorte jusqu'à Tyr, et épargne la population chrétienne. Il veut ainsi démontrer la supériorité des musulmans sur les chrétiens, qui, eux, n'avaient pas
hésité à faire des massacres lors de la prise de Jérusalem, en 1099.
Poursuivant sa conquête du royaume franc, il assiège Tyr, défendue par Conrad de Montferrat, frère du défunt Guillaume,
en novembre 1187. Mais, la ville étant considérablement renforcée par les milliers de soldats épargnés venus s'y réfugier, il lève rapidement le siège, après avoir perdu une partie de sa flotte.
Puis, l'hiver approchant, il démobilise son armée, emportant encore Lattaquié, Tartous et Safed en rentrant en Syrie.
En 1188, il libère Guy de Lusignan, contre la promesse qu'il n'attaquera plus les musulmans. Mais ce dernier, à qui
Conrad a refusé d'ouvrir les portes de Tyr, ignore bientôt sa parole, assiégeant Acre avec ce qu'il lui reste d'armées dès août 1189.
Pendant ce temps, le pape Grégoire VIII a lancé un appel à la croisade pour reconquérir le royaume de Jérusalem. Il a
rapidement emporté l'adhésion des trois principaux souverains d'Europe occidentale : le roi Philippe II de France, le roi Richard Ier d'Angleterre et l'empereur germanique Frédéric
Barberousse. Ce dernier, le premier parti, se noie en Asie Mineure le 10 juin 1190, après avoir pris Iconium aux turcs seldjoukides. Le gros de son armée se dissout rapidement et ce qu'il en
reste, dirigé par le duc Léopold V d'Autriche, est vaincu dès son arrivée en Syrie.
Richard, tout comme Philippe, fait le voyage par la mer. Mais, tandis que le roi de France gagne Tyr sans problèmes,
Richard est pris dans une tempête et se réfugie en Crète et à Rhodes. Gagnant ensuite Chypre, territoire byzantin dirigé par l'usurpateur Isaac Doukas Comnène, il est outré par l'accueil offert
par les habitants et par le maître des lieux, qui n'hésite pas à insulter la sœur du roi et à faire piller un de ses navires. Demandant des dédommagements, il essuie un refus. Ainsi, en mars
1191, Richard entreprend la conquête de l'île, qu'il voit déjà comme un poste avancé pour la reconquête des Etats latins d'Orient.
Face à des soldats mal équipés, il n'a aucune difficulté à vaincre Comnène avec ses chevaliers en armure et ses archers
longs. Attaquant le camp ennemi par surprise, il met Isaac en fuite, puis reçoit l'hommage des nobles chypriotes. Quelques jours plus tard, Guy et quelques uns de ses barons, dont le prince
d'Antioche, viennent rencontrer Richard, laissant le soin de mener le siège d'Acre au roi de France. Isaac, s'avouant vaincu, envoie alors une ambassade, promettant de verser 20 000 marks
d'or et d'envoyer des troupes en Terre Sainte. Il vient alors rendre hommage au roi mais s'enfuit peu après. Guy est chargé de poursuivre et de capturer celui qui s'intitulait « empereur de
Chypre ». Il est capturé dans l'abbaye du cap Saint Andrea et sera emprisonné en Syrie jusqu'à son assassinat, en 1195.
Le roi part alors pour la Palestine mais, peu de temps après, les chypriotes se soulèvent et proclament empereur de
Chypre un simple moine. Le lieutenant du roi, Robert de Tornham, sentant venir le danger à temps, défait alors rapidement les insurgés, capture leur chef et le fait pendre. Apprenant cela,
Richard se rend compte qu'il va être difficile de tenir l'île une fois la croisade finie. C'est pourquoi, toujours en 1191, il la vend aux Templiers pour la somme de 100 000 besants.
Cependant, confrontés à une rébellion des habitants le 5 avril 1192, les Templiers en massacrent un grand nombre à Nicosie mais réalisent qu'ils ne peuvent tenir l'île. C'est pourquoi, cette même
année, ils la rendront à Richard.
Pendant ce temps, en Palestine, Philippe avait fait alliance avec Conrad de Montferrat, qui convoitait la couronne de
Jérusalem. En effet, depuis la mort de Sybille, en 1190, sa sœur Isabelle et son mari contestent la légitimité du titre porté par Guy, plongeant ainsi ce qu'il reste du pauvre royaume dans des
luttes intestines. Richard arrive peu de temps après et, aidé du reste des forces allemandes et du roi de France, il prend Acre le 12 juillet 1191. Ne parvenant pas à s'entendre, les trois chefs
chrétiens entrent bientôt en désaccord et, lassés de ces luttes, Léopold V d'Autriche et Philippe II repartent pour l'Europe, laissant Richard seul à la tête des armées croisées.
Début 1192, il parvient à trouver un terrain d'entente entre Guy de Lusignan et Conrad de Montferrat : Guy renonce
officiellement à la couronne de Jérusalem en échange de Chypre, qu'il achète au roi, et Conrad reçoit la couronne tant convoitée. Ceci fait, Richard, ayant pris Jaffa mais ne parvenant pas à
s'emparer de la Ville Sainte, signe un traité de paix le 2 septembre 1192 avec Saladin. Il quitte ensuite à son tour la Terre Sainte pour regagner son royaume.
Quand il arrive à Chypre avec ses trois cent chevaliers et leurs deux cents écuyers, Guy trouve un pays ravagé par la
tyrannie d'Isaac, la conquête de Richard et les massacres des Templiers. Son premier objectif est donc de le reconstruire et, surtout, de le réorganiser. Tout d'abord, il offre à tous les hommes
qui l'ont suivi, pour leur grande majorité des anciens nobles du royaume de Jérusalem dépossédés par la conquête de Saladin, de nouvelles terres héréditaires. Ainsi, il redistribue les domaines
confisqués par Isaac en échange d'un serment de vassalité, comme il est de coutume dans la féodalité.
Comprenant également qu'il est nécessaire de gagner rapidement la sympathie de ses sujets, Guy fait de son mieux pour
remédier à la dépopulation dont a souffert l'île les dernières décennies. Pour cela, il lance un appel aux anciens chypriotes exilés et leur promet de rendre les domaines qui leur ont été
confisqués. Il fait également appel à des colons venus de Syrie et des zones environnantes.
Guy recompose ainsi la noblesse de l'île, à présent composée de 300 chevaliers et de 200 châtelains, assistés de
nombreux paysans. D'autres habitants, marchands, citoyens et artisans, viennent bientôt rejoindre le nouveau royaume. Seule sa paysannerie demeure inchangée et peut alors se diviser en cinq
classes : les Parici, les plus nombreux et les plus pauvres, obligés de rester sur les terres de leur seigneur et n'ayant aucun droits ; les Perpiriarii, moins nombreux, attachés à leur
terre mais libres ; les Lefteri, des Parici émancipés et libres après un paiement ou par la bonne volonté de leur seigneur ; les Albanais, des descendants de soldats venus d'Albanie
pour défendre l'île ayant un salaire mais aucune valeur militaire ; les Vénitiens, descendants de soldats croisés menés par le doge de Venise qui se sont établis à Chypre en 1123, devant
verser une somme d'argent à leur seigneur mais relevant légalement d'un noble vénitien résidant à Nicosie avec le titre de consul.
Guy met également en place une sorte de constitution, modelée sur celle du royaume de Jérusalem. Le royaume de Chypre
devient officiellement une monarchie limitée, où les pouvoirs royaux se limitent théoriquement à la direction militaire. Malgré cela, Guy n'a toujours été que seigneur de Chypre ou roi en Chypre
et non pas roi de Chypre puisque le titre royal ne sera accordé qu'en 1195, à son frère Amaury.
Cette constitution met en place deux cours : la Haute-Cour et la Cour des Citoyens. La première, présidée par le
roi et composée de la noblesse, des propriétaires de fiefs et des ministres civils du royaume, traite les affaires d'Etat importantes. Sans son consentement, aucune loi ne peut être décrétée.
Quant à la seconde, elle prend en charge les affaires impliquant directement les citoyens de l'île et est présidée par un fonctionnaire appelé vicomte. Il s'agit en réalité d'un simple tribunal,
qui n'a donc aucune puissance législative réelle.
Quant aux anciennes coutumes locales, elles demeurent la plupart du temps en place, à condition qu'elles ne soient pas
opposées à la loi féodale. Ce système, nouveau pour les chypriotes, est donc similaire à celui des cours occidentales du Moyen-Age.
Guy de Lusignan meurt sans descendance en 1194, laissant le royaume de Chypre à son frère Amaury. Malgré son absence de
sens politiques et militaires, il ne s'en est pas moins montré comme un brillant administrateur, fondant l'organisation d'un royaume qui subsistera trois siècles.