La cheminée au Moyen âge.
Les Anciens n’ont pas connu la cheminée d’appartement. Le combustible destiné au chauffage
domestique était placé dans un brasier ou dans un chariot à feu plein de braise ardente que l’on transportait dans les différentes salles. Chez les Grecs, ces boîtes en métal plus ou moins
décorées et reposant sur quatre pieds qui affectaient le plus souvent la forme de pattes d’animaux, se nommaient escharion. La fumée sortait par les portes, les fenêtres ou par une ouverture
pratiquée dans la toiture. Ce procédé primitif était employé à Rome, aussi Vitruve recommandait-il de ne pas orner de peintures les chambres d’hiver parce que la fumée les aurait promptement
détériorées. La douceur du climat de la Grèce et de l’Italie explique ce peu de complication dans le mode de chauffage.
Cependant les Romains ont connu aussi des calorifères souterrains ou hypocaustes dont les conduits transmettaient la chaleur à travers l’épaisseur des murs.
Pendant la période gallo-romaine, en Gaule et en Angleterre, les édifices publics et les demeures des riches furent chauffés avec des hypocaustes ; mais les gens du peuple, obligés de passer les
mois d’hiver dans des salles closes, furent conduits par les inconvénients de la fumée à lui ménager une issue disposée, de manière que la pluie pût tomber dans le foyer sans inconvénients pour
eux. Ces constructions ou cheminée permettaient non seulement de chauffer l’appartement mais encore d’utiliser le foyer pour les besoins domestiques. Au XIe siècle leur usage était général ;
elles pénétrèrent peu à peu dans les riches demeures et amenèrent la suppression des hypocaustes. Ces cheminées du début du moyen-âge sont énormes ; elles tenaient presque toute la largeur des
salles, on y mettait des bancs, et des escabeaux. pour s’asseoir dedans et dessous, les pieds dans un panier en vannerie servant d’écran. Certaines cheminées dans les habitations actuelles de nos
paysans sont construites sur un modèle analogue et c’est sous leur manteau que se passent les longues veillées d’hiver. Elles ne consistèrent d’abord qu’en une simple hotte pyramidale suspendue
au-dessus du foyer ; plus tard on les munit d’un chambranle porté sur deux montants appelés jambages ou pieds-droits et d’une frise supportant une tablette horizontale. La pierre, l’albâtre, le
marbre, suivant la richesse du propriétaire de l’habitation, servaient à les construire. Beaucoup étaient surchargées d’ornements consistant en peintures, dorures, sculptures. Pendant l’été, on
garnissait l’âtre de verdure et de feuillage naturels.
Au XIIIe siècle, les cheminées atteignent leur maximum de largeur ; leur manteau se taille en arc plus ou moins fermé, la forme de la hotte s’arrondit légèrement.
Au XVe siècle les cheminées des châteaux sont de magnifiques monuments.
Dans la plupart des habitations une seule pièce était garnie d’une cheminée, cependant il y en avait parfois plusieurs dont les conduits se réunissaient tous dans un même tuyau débouchant
au-dessus du toit.
Ces cheminées énormes avaient un défaut capital ; la presque totalité du combustible y brûlait en pure perte, le tirage était très défectueux et la fumée Se répandait souvent dans la pièce.
Ce n’est pourtant qu’à la fin du XVIIIe siècle que la construction de ces appareils de chauffage commence à s’améliorer au point de vue du rendement. On diminua la largeur et la hauteur des âtres
; la section des tuyaux de fumée fut réduite. Malgré ces aménagements, le rendement en chaleur est toujours hors de proportion avec le combustible dépensé, c’est ce qui amena l’usage du
calorifère.
Les accessoires de la cheminée
Les principaux accessoires de la cheminée sont le soufflet, le chenet, la pelle, la pincette et le pare-étincelles. En dehors de leur utilité évidente, ils contribuent à l’ornement de
l’appartement et forment, avec la cheminée, un tout complet.
Le chenet a été connu des anciens ; on en est aujourd’hui certain grâce aux fouilles effectuées un peu partout. Dans les ruines de Pœstum on a trouvé un véritable chenet de fer qui ressemble
d’une façon étonnante à ceux que l’on fabrique aujourd’hui. Pompéi, qui nous a tant appris sur la vie des anciens, a fourni des chenets de fer assez grossiers, ce qui ’prouve que les Latins ne
les employaient que dans leurs cuisines : ils ont d’ailleurs ignoré l’usage de la cheminée d’appartement.
En France, pendant le moyen-âge, le chenet s’appelait queminel ou chemineau, sans doute parce qu’il était un des ustensiles inséparables de la cheminée. Froissart, au XIVe siècle, le cite souvent
sous ce nom dans ses chroniques.
On le nommait aussi chiennet , d’où est venu son nom actuel ; parce que, probablement, la décoration de sa partie antérieure, à droite et à gauche de la chevrette, barre de métal qui empêchait
les bûches de tomber consista d’abord en une tête de chien. Cette étymologie semble confirmée par les noms anglais et allemand (firedog, feuerhund) de cet ustensile, mots signifiants l’un et
l’autre chien de feu.
En dehors des chenets ordinaires, il y en avait au moyen-âge de plus grandes dimensions, les landiers. Généralement en fer forgé, ils atteignaient parfois plus d’ 1m mètre de hauteur, sans
paraitre cependant trop grands dans les cheminées monumentales de cette époque.
Une certaine ingéniosité était apportée à la fabrication de ces ustensiles. Les landiers à crochets ou hatiers, conservés jusqu’à nos jours dans quelques vastes cuisines de ferme, sont pourvus de
crochets sur lesquels on peut appuyer des broches ou suspendre des anses de chaudron.
Les landiers rigodets étaient aussi fort répandus au moyen-âge. Leurs montants se terminaient par des corbeilles dans lesquelles on mettait les plats soit pour les empêcher de se refroidir, soit
pour les cuire lentement. Le musée de Cluny possède une fort belle collection de landiers qui comprend environ trente numéros.
Au XlVe siècle, les landiers sont ornés de rinceaux, de figures d’animaux, d’hommes d’armes en pied ; on y rencontre fréquemment les armoiries et les écussons de leur propriétaire.
Dès le début du XVIIe siècle, la réduction des cheminées amène celle des chenets. Quant à leur décoration, elle suit les styles. Sous Louis XIV, le chenet est majestueux et froid comme tout le
reste ; avec le successeur du grand roi apparaissent la rocaille et la coquille ; sous Louis XVI, la pomme de pin est un ornement commun, ainsi que l’urne ovale entourée de guirlandes
tombantes.
Pelle à feu et pincette ont existé dans l’antiquité. Le scaleuthron des Grecs, le sarculum des Latins correspondaient sans doute à notre pelle à feu, mais n’étaient employés que dans les
cuisines. Quant au pyragra des Grecs, c’était plutôt une sorte de tenailles utilisée par les forgerons qu’une pincette analogue à la nôtre.
Les accessoires de la cheminée moyen-âge et la Renaissance ont eu des pelles et des pincettes en rapport avec leurs cheminées, c’est-à-dire énormes. Le fer forgé ou ciselé est la matière le plus
communément employée.
Au XVIIe siècle, l’usage du cuivre devient fréquent ; plus tard, à mesure que diminue la cheminée, les pelles et pincettes d’argent commencent à se répandre dans les riches habitations.
La décoration suit des transformations de style parallèles à celles qui modifient le chenet.
Le pare-étincelles est une sorte d’écran dont l’utilité est incontestable dans nos appartements actuels si encombrés et si petits. La forme en éventail qu’on lui donne le plus souvent est fort
gracieuse, aussi contribue-t-il pour une large part à l’ornementation de nos cheminées modernes. Le pare-étincelles est nécessairement métallique mais l’écran proprement dit, qui a pour mission
d’arrêter le rayonnement trop ardent du foyer, est établi au moyen de matériaux divers. Le plus souvent c’est une étoffe tendue sur un cadre approprié.
Le soufflet
Quel fut l’auteur de cet utile autant qu’ingénieux instrument ? Une légende en attribue l’honneur à un Scythe du nom d’Anacharsis qui vivait au VIe siècle avant notre ère. La légende, comme
nombre d’autres, est certainement fausse, car Homère, antérieur de beaucoup à Anacharsis, cite fréquemment le soufflet et il y avait sans doute au temps de l’Iliade bien des siècles qu’un avisé
forgeron avait eu l’idée de lancer sur la flamme de son foyer, pour obtenir une plus haute température, le jet d’air violent sortant d’une peau de bouc poussée.
Beaucoup d’appareils employés aujourd’hui dans l’industrie résultent de perfectionnements apportés à des objets domestiques ; pour le soufflet l’inverse s’est produit. De la forge du
métallurgiste en plein vent il a passé peu à peu dans l’appartement.
On peut définir le soufflet, un instrument qui utilise la compression de l’air à l’allumage du feu en produisant un courant d’air forcé. Il se compose essentiellement de deux surfaces, les ais ou
flasques, terminées par deux poignées que l’on nomme aussi les manches ou queues et qui servent à manœuvrer, c’est-à-dire à les écarter et à les rapprocher alternativement. A cet effet les ais
sont réunis par un morceau de cuir qu’on nomme aussi peau ou quartier. L’un des ais est muni d’une soupape ou âme s’ouvrant de dehors en dedans. Quand on écarte les ais, la pression diminue à
l’intérieur de la caisse du soufflet, l’air se précipite par la soupape et gonfle les cuirs.
Le rapprochement comprime l’air emprisonné et le chasse par une petite tuyère dont le rôle est double : elle augmente la vitesse de sortie de l’air et elle permet de diriger le vent au point
précis où il est nécessaire.
Les anciens, n’ayant pas de cheminées d’appartement, n’utilisèrent le soufflet que dans les forges ou dans les cuisines. Il est fort probable qu’ils ne consacrèrent pas beaucoup de soins à son
ornementation ; les documents manquent d’ailleurs à ce sujet. Le moyen-âge connut aussi le soufflet que l’on désignait alors sous le nom de buffet, du vieux verbe français buffer signifiant
souffler, encore employé dans quelques régions notamment en Poitou et dans les Charentes.
Au XIVe siècle. les matières employées ainsi que la décoration étaient luxueuses ; les inventaires nous parlent de « buffets » d’or ou d’argent avec émaux et pierreries. Pendant la Renaissance,
le soufflet grandit, il devient énorme comme le beau spécimen en bois sculpté que reproduit notre gravure. On l’orne de dorures, de personnages fantastiques, d’armoires. Les sujets sont très
variés mais, presque toujours, au bas est sculpté Eole, dieu du vent, mordant la tuvère.
Le Musée de Cluny, le Louvre possèdent quelques soufflets de cette époque merveilleusement décorés.
Au XVIIe siècle la sculpture est à peu près abandonnée, les incrustations de nacre, de cuivre, de verroterie sont prédominantes. Chaque époque apportant ses caprices et ses modes, au siècle
suivant la marquèterie est surtout employée. Aujourd’hui le soufflet d’appartement porte l’empreinte de la banalité courante qui marque tous les objets usuels et les collectionneurs de l’avenir
auront bien peu à conserver de ce qui concerne notre siècle. Si le soufflet d’appartement a peu varié, sauf par la décoration, il n’en est pas de même du soufflet de forge qui a augmenté sa
puissance dans des proportions considérables. Le soufflet de forge actuel est disposé de manière à produire un jet d’air continu ; il comprend trois tablettes reliées entre elles par une peau que
soutiennent deux ais flexibles. Les deux tablettes inférieures portent chacune une soupape s’ouvrant de bas en haut. Celle du bas, que manœuvre une chaine par l’intermédiaire d’un levier, porte
un poids qui la fait baisser quand on cesse de peser sur la chaîne ; la tablette supérieure porte également un poids pour comprimer et chasser l’air emmagasiné en dessous. En tirant la chaine,
l’air de la chambre inférieure passe dans la supérieure et est chassé avec force par la tuyère. Quand le forgeron abandonne la chaîne, le poids entraine la tablette inférieure, l’air du dehors
pénètre dans la chambre inférieure qui s’emplit pendant que l’autre se vide en partie.
Il faudrait pour être complet décrire les différentes formes de soufflets industriels, parler des soufflets composés de caisses s’éloignant ou se rapprochant, décrire les ventilateurs et parler
des machines soufflantes, mais ce serait s’écarter quelque peu du but que nous nous sommes proposé, car l’art est absent de ces applications industrielles ; bientôt même, le modeste soufflet
d’appartement, par ce temps de poêles mobiles, de calorifères, de foyers au gaz et à l’électricité, ne laissera plus que le souvenir d’un objet disparu.