Scandale de la Tour de Nesle.
Deux chevaliers sont exécutés à Pontoise, dans d'atroces conditions, le 19 avril 1314 («le vendredi qui suivit le dimanche de Quasimodo»,
selon une chronique de l'époque). Leur crime est d'avoir aimé des princesses.
Les frères d'Aunay sont les principales victimes du scandale dit «de la tour de Nesle» qui assombrit la dernière année du règne de Philippe
IV le Bel.
Pénible fin de règne pour Philippe le Bel.
Le scandale blesse cruellement l'amour-propre de ce roi profondément pieux qui, d'après le témoignage des contemporains, resta chaste après la mort
de son épouse Jeanne de Navarre, survenue neuf ans plus tôt.
Le roi a eu quatre enfants qui devaient atteindre l'âge adulte : une fille, Isabelle, plus tard reine d'Angleterre, surnommée la «Louve de France» et trois fils qui allaient à tour de rôle monter sur le trône capétien : Louis, Philippe et
Charles.
– L'aîné, Louis, a un caractère difficile qui lui valut le surnom de «Hutin» ou de «Noiseux». Il épouse Marguerite, fille de Robert
de Bourgogne et d'Agnès, elle-même fille de Saint Louis. Altière et un rien frondeuse, cette jolie jeune femme aimait la vie.
– Philippe, prince intelligent, épouse Jeanne d'Artois, fille d'Othon IV de Bourgogne et de Mahaut d'Artois.
– Charles, à la personnalité plus effacée, épouse Blanche, la soeur de Jeanne, plus frivole que cette dernière et facilement influencée par sa
belle-soeur Marguerite.
Princesses adultères.
Les jeunes brus de Philippe le Bel donnent à la cour un air de gaieté très apprécié, qui contraste avec l'austérité du roi et de son entourage. Or,
après trois ou quatre ans de mariage, voilà que Marguerite et Blanche prennent pour amants de «jeunes et biaux chevaliers», les frères Gautier et Philippe d'Aunay. On chuchote à la cour,
mais personne n'ose en souffler mot à Philippe le Bel.
L'affaire s'évente pourtant en avril 1314, à l'abbaye de Maubuisson où le roi aime à se retirer avec sa cour. Il semble, suivant certains historiens,
que c'est leur belle-soeur Isabelle qui les dénonce. Immédiatement, Philippe le Bel fait faire une enquête qui, malheureusement, ne laisse pas de place au doute. Elle démontre de surcroît que
Jeanne est au courant de tout.
La justice royale s'abat implacablement sur les amants adultères. Marguerite et Blanche sont arrêtées, jugées et condamnées à être tondues, habillées
de robes grossières et conduites dans un chariot recouvert de draps noirs aux Andelys, dans les geôles du château Gaillard.
Marguerite, éplorée et repentante, y occupe une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon.
Et de Navarre la reine
Prise comme garce et méchine
Et en prison emprisonnée
A Gaillard où elle fut menée
Dont le royaume était troublé.
(Geoffroi de Paris)
[Le mari de Marguerite, Louis le Hutin, fut roi de Navarre avant d'être roi de France]
Victime de mauvais traitements, la malheureuse meurt à la fin de l'hiver 1314.
Blanche est un peu mieux traitée dans un cachot «enfoncé dans la terre». Elle survit à l'épreuve. A l'avènement de Charles IV, son époux,
elle est transférée à Gavray, en Normandie, et obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Elle finit ses jours en 1326, à l'abbaye de Maubuisson. Jeanne est aussi arrêtée et placée
sous surveillance au château de Dourdan. Traitée avec beaucoup plus d'égards, elle défend sa cause auprès du roi :
Por Dieu, oez moi, sire roi
Qui est qui parle contre moi ?
Je dis que je suis prude fame
Sans nul crisme et sans nul diffame.
(Jean de Troyes)
Mahaut d'Artois, qui siège au Conseil du roi, plaide pour sa fille Jeanne. Considérant qu'il eut été difficile à celle-ci de dénoncer sa soeur et sa
belle-soeur, on lui pardonne et on lui rend rapidement sa liberté. Elle retrouve sa place auprès de son époux Philippe ainsi qu'à la cour, où on lui fait fête.
Les amants au supplice.
Les frères d'Aunay, coupables d'avoir batifolé avec les belles-filles du roi de France, sont arrêtés et subissent la question. Ils avouent sans
tarder et après un rapide jugement à Pontoise pour crime de lèse majesté, ils sont exécutés sur le champ en place publique.
Leur supplice est épouvantable : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis
pendus par les aisselles aux gibets.
On reste confondu devant tant de cruauté et, si le peuple a l'habitude de ces pratiques, il trouve néanmoins le châtiment bien sévère pour une faute
qui, d'ordinaire, n'entraîne pas tant de violence... C'est sans mesurer les conséquences d'un tel comportement adultère. Au-delà de l'affront fait à la famille royale, ce crime est en effet une
atteinte aux institutions du royaume plus encore qu'à la morale : il met tout simplement en péril la dynastie capétienne.
En effet, quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? Comment
sacrer et donner l'onction divine à un roi qui n'aurait pas été, sans équivoque possible, le fils du roi précédent ? Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être
exemplaire.
Mais ce scandale pose à la maison du roi un autre problème. En effet, l'adultère n'est pas considéré par l'Église comme un motif suffisant pour
annuler un mariage. Comment assurer la descendance dynastique et la venue d'un hoir (héritier) mâle ?
Quel avenir pour la dynastie ?
Au moment où éclate l'«affaire de la tour de Nesle», Louis (le futur roi) et Marguerite ont déjà une fille, Jeanne (future reine de Navarre
et mère de Charles le Mauvais). La mort rapide de Marguerite, dans sa prison, permet à Louis de se remarier avec Clémence de Hongrie, mais il n'en a qu'un enfant posthume, Jean 1er, lequel ne vit
que cinq jours.
Philippe V le Long succède à son frère Louis Le Hutin et à Jean 1er Le Posthume. Il n'a pas de mal à utiliser l'affaire d'adultère pour écarter sa
nièce, la petite Jeanne, de la succession au trône (la prétendue loi salique sur l'exclusion des femmes de la succession au trône de France n'est pas invoquée à cette occasion ; elle ne
sera mentionnée pour la première fois qu'en 1358, dans une chronique). Mais Jeanne d'Artois, son épouse réhabilitée, ne lui donne «que» trois filles et aucun garçon.
À sa mort, son frère cadet monte donc à son tour sur le trône sous le nom de Charles IV le Bel. Attaché à Blanche, malgré l'affront, il vit
douloureusement sa disgrâce.
Les deux époux s'accordent sur l'obligation politique d'annuler le mariage. Reste à trouver une justification acceptable par le pape. Le couple royal
ne peut invoquer l'argument classique d'une trop proche parenté comme ce fut autrefois le cas pour Louis VII et Aliénor d'Aquitaine.Mais quand on veut on peut... Charles se souvient que la mère
de son épouse, Mahaut d'Artois, était sa marraine et, par là même,... sa «mère spirituelle». Son épouse Blanche est donc, en quelque sorte, «sa soeur» !
Cette clause de parenté spirituelle étant un motif de nullité prévu par le droit canonique, il peut se remarier avec Marie de Luxembourg. Las, cette
deuxième épouse, enceinte, meurt prématurément et Charles n'hésite pas à épouser Jeanne d'Évreux, sa cousine (nécessité faisant loi, il fallut bien que le Ciel s'accommodât de cette autre
parenté).
Le roi n'a pas plus de chance avec cette troisième épouse. Elle lui donne une première fille qui meurt prématurément puis une fille posthume.
Isabelle, la «Louve de France», seule fille de Philippe IV le Bel, n'a pas une vie conjugale plus enviable
que ses belles-soeurs. Délaissée par son époux Édouard II, roi d'Angleterre, qui préfère les jeunes pages, elle vit au vu et au su de tous avec son amant, le baron Roger Mortimer. La mort
«naturelle» en 1327 de son mari, emprisonné par elle-même à Berkeley, ainsi que le trop jeune âge de son fils Édouard III, lui permettent d'exercer avec son amant une régence de
fait.
En 1330, Édouard III reprend le pouvoir, fait exécuter Mortimer et relègue sa mère au château de Norfolk où elle meurt en 1358. On n'a pas fini
d'entendre parler de lui...
Ainsi troublées furent les destinées conjugales des derniers représentants des Capétiens directs. Si Marguerite de Bourgogne n'avait pas si gravement
fauté, peut-être aurait-elle donné un fils à Louis X, assurant ainsi la continuité de la dynastie... mais on ne refait pas l'Histoire !
Faute d'héritier mâle en ligne directe, la noblesse du royaume donne le trône au représentant de la branche cadette des Valois. Celui-ci devient roi
sous le nom de Philippe VI non sans exciter la rancoeur de ses rivaux, dont le roi d'Angleterre et celui de Navarre. Il en résultera la guerre de Cent Ans !
Les Rois maudits.
Cet enchaînement de drames à la cour royale a inspiré une pièce de théâtre au jeune Alexandre Dumas en 1832 : La Tour de Nesle. Il a aussi
inspiré une grande fresque romanesque à Maurice Druon, sous le titre : Les rois maudits, magnifiquement adaptée à la télévision dans les années 1960. Frissons assurés.
Les siècles suivants nous ont habitués aux nombreuses maîtresses des rois, mais ce comportement n'a pas eu de conséquence politique sur la légitimité
dynastique.
On trouve pourtant un autre cas semblable d'adultère dans l'Histoire de France. Le dauphin Charles, futur Charles VII, n'ignorait rien des frasques
de sa mère Isabeau de Bavière. Il en garda un doute qui rongea sa fragile personnalité déjà minée par un contexte politique bien difficile. Il semble que c'est Jeanne d'Arc qui réconforta le roi
de Bourges sur sa situation filiale lors de l'entrevue de Chinon, lui rendant ainsi un peu de son assurance.
Source Hérodote.net